2006-2016 : TOUT ÇA POUR 4 LETTRES

Une task force Whatsapp a été chargée de réfléchir à la bonne façon de célébrer nos dix ans. Ses conclusions furent sans appel.

Une fête oui mais quand ? Un week-end alors que tous les intermittents travaillent ? En semaine alors que tous les amateurs travaillent ?

Une fête oui mais où ? À Saint-Herblain avec le secrétariat de la rue du Congo et les comptables de la route de Vannes ? À Paris avec la fine fleur du ghetto folk mais sans les punks historiques ? Dans un domac de province, de Berlin ou de Budapest, comme au bon vieux temps ?

Il paraissait également difficile de mettre tout le monde d’accord sur la playlist. Et le risque était grand d’étaler sur les réseaux sociaux notre incapacité coupable à mobiliser une foule mixte, jeune, souriante – celle que tout bon capitaliste rêve d’avoir comme clientèle.

Nous célébrerons donc nos dix ans avec un bon vieil article WordPress, que nous espérons rempli à ras bord d’amour, d’espoir et d’auto-satisfaction. Et profitons de cette rare occasion pour te dire, cher lecteur et ami, toute notre joie de t’avoir embrigadé, de gré ou de force, dans cette aventure belle et triste.

Saint-Herblain, le 26 juin
La bonne direction

/// ON A TROUVÉ

En 2006, on cherchait un public. On pensait le trouver comme on trouve un bassiste : on partait du principe que le mec existe quelque part, il joue de la basse tout seul dans sa piaule et n’attend plus qu’un groupe vienne le recruter. De la même façon, on se poussait du cul pour trouver un public : il fallait atteindre, allez, 500 personnes ; qu’elles viennent à nos concerts et achètent nos disques. Il fallait les capter, les agréger, les collectionner, les kidnapper si possible. Le seul truc qu’on pouvait pas faire, c’était les acheter.

Pourtant, c’est comme ça que faisaient les autres. Ils achetaient de la visibilité, des passages radio, des encarts pub pour avoir des chroniques. Ils produisaient des showcases, ils investissaient. Ils se constituaient patiemment un public acheté. Une clientèle.

En 2016, la musique industrielle est devenue gratuite, et sa clientèle se dissout progressivement dans un ventre mou de sympathisants. Ces derniers n’ont plus d’argent pour les artistes qu’ils entendent, seulement de l’attention mobilisable, du temps de cerveau disponible, comme dirait vous savez qui. La musique industrielle se transforme en information, un peu comme la publicité ou la communication politique.

Mais les gens qui aiment vraiment la musique ne sont pas morts. Ils sont juste en train de se reconfigurer eux aussi. Ils font des playlists sur des sites qui disparaissent les uns après les autres et se disent à chaque fois : « merde, faut que je refasse tout ». Ils n’ont plus de lecteur CD pour écouter leurs albums de ska. Ils commencent à se dire qu’ils ont fait le tour des suggestions de Spotify spécial Euro 2016.

Nous, nous n’avons peut-être pas de clientèle, mais nous avons toujours un public. Ce n’est d’ailleurs pas « notre » public, il ne nous appartient pas : il n’a même pas conscience de lui-même. Mais nous savons qu’il existe quelque part, et nous commençons à très bien savoir comment le rater à tous les coups. Ne reste plus qu’à trouver comment l’atteindre.

C’est notre révolution à nous, et il nous aura fallu dix piges pour mettre des mots dessus.

/// 10 ANS D’ECHECS

On a rêvé des plus grands festivals, des SMAC, de tour-bus avec DVD. On s’est vus faire des vannes avec Nagui, et on se plantait. Faire le deuil de tous ces rêves de droite a peut-être pris du temps, mais au moins, on est sûrs de moins en perdre à l’avenir.

Des milliers de concerts dans des festivals que personne ne connaît, dans des villes que personne ne connaît, pour jouer des morceaux que personne ne connaît.
Des centaines de morceaux écrits, composés, enregistrés, compressés vite-fait avec Izotope et MP3 Maker et balancés dans le vide numérique pour choper deux like.
Des dizaines d’euros reversés par Spotify et Apple.

Bof.
Après tout, nos échecs sont peut-être nos plus belles réussites.

/// 10 ANS D’ARGENT, parce qu’il n’a jamais été nécessaire de réussir pour gagner sa vie.

10 ans de survie à côté du marché du travail, parfois un pied dedans, un pied dehors. Une position d’équilibriste entre l’idéal matériel et la misère heureuse.

10 ans qu’on survit à une époque qui voudrait qu’on disparaisse. En 2016, il n’y a pas plus de place pour le musicien intègre que pour l’artisan, le philosophe, le poète. Et quand y’a plus de place, faut pousser les meubles.

Si ces dix ans sans thune étaient à refaire, on les referait probablement. Mais quid des dix prochaines années ? Ambassadeur Blablacar à quarante piges, un projet de vie ?

A force de s’entendre dire qu’on avait quand même bien du bol de vivre de notre musique, on en a oublié de se demander si c’était normal qu’on gagne aussi peu.

On a fait des envieux, et on commence à faire des jaloux.
Les ennemis viendront ensuite.
On sera prêts.

/// 10 ANS D’AMOUR

Comment appeler autrement cette envie de faire mieux avec moins ? Cette manie du folklore cheap alors que l’avenir est à l’universel, l’industriel, l’intemporel ? Cette obsession du son brut et nu alors qu’avec quelques LED et un joli décor tu pourrais doubler ton prix de vente ?

C’est de l’amour, mec. On est des hippies thuguisés. La voilà la couv’ qui tue : un mec sapé chez Décat’ qui tape sur un derbouka Thomann et ce titre : « Les nouveaux hippies ».

En pleine guerre de l’attention, dans laquelle la musique est devenue un moyen comme un autre de cracher du mépris à la gueule du salarié ingrat, rien de plus fun et jouissif que de chercher à vendre de l’amour.

Après tout, dans toute cette histoire, la musique n’est pas grand-chose d’autre qu’un prétexte. D’ailleurs, si on était moins ghetto, on serait très certainement dans la pub, la politique ou la haute couture. C’est peut-être pas encore tout à fait foutu.

Et si on était moins frustrés et moins regardants, on serait de sacrés partouzeurs.

Vivement la suite !