La pop, entre décomplexation capitaliste et privilège blanc

“Décomplexation” n’existe peut-être pas, mais accordez-moi qu’il s’agit du processus qui décomplexe. La pop, à travers toute forme d’art, a-t-elle pour autre fonction que de permettre à tout un chacun d’assumer ses penchants capitalistes ?

La pop produit des œuvres ridicules – c’est d’ailleurs souvent fait exprès. Heureusement pour elles, la surexposition que leur assurent les médias de masse permet de laisser croire à un second degré, une distanciation. Sans ça, on ne voit objectivement pas pourquoi la pop serait diffusée : ces arrangements, ces textes et ces sifflements sont tellement ridicules ! Il doit forcément y avoir quelque malin génie qui préside à tout cela. Hélas, quand on écoute l’artiste s’exprimer en interview, c’est le drame : “nan mais c’est juste que j’aimais bien ce son de synthé” / “j’ai entendu cette phrase dans le métro et ça m’a inspiré cette comptine”. Surprise, l’artiste pop n’a aucun projet politique subversif. Son seul idéal est éventuellement esthétique. Sa seule satisfaction est celle d’être exposé.

Or, le matraquage permanent des accords magiques et autres refrains sirupeux exerce une influence considérable sur la création en général : outre que des pans entiers de l’harmonie et de l’arrangement deviennent pestiférés à mesure que la pop se les approprie, ce sont à la fois la qualité subjective et la portée de toutes les œuvres qui souffrent. La mémoire collective gavée de synthés 80 et d’afterbeat, il devient difficile d’apprécier toute œuvre se distinguant des formats industriels. Voilà ce qu’on appelle le grand public : l’immense majorité des auditeurs, passifs devant l’offre FM, se conformant collectivement à une esthétique inébranlable et un apolitisme pro-capitaliste évident.

Car quel autre message la pop délivre-t-elle ? Il y est question de faire simple, fun, léger : refus du politique. Il y est question de se rendre ridicule : décrédibilisation massive de la pratique artistique, y compris en tant que lien social. Il y est question de vénérer des stars industrielles : glorification d’un succès individuel orchestré par des sociétés cotées en bourse.

La diffusion massive de ce discours permet de rendre tolérables l’inaction politique, la honte liée au fait d’être un consommateur inutile, le renoncement généralisé. Elle crée un climat amorphe et débilitant dans lequel c’est le rebelle qui passe pour un débile. La pop est l’art du renoncement : renoncement à la technique et à la virtuosité, renoncement à la politique, au lien social, au dialogue. Elle tend même à créer une esthétique de ce renoncement, basée non pas sur des codes qui auraient un sens historique ou sociologique, mais sur des références issues de sa propre histoire, avec des références aux stars passées, des thèmes récurrents, une imagerie nostalgique d’elle-même.

C’est l’avantage de la culture dominante, quel que soit le domaine : il lui suffit de se raconter elle-même, car son succès éternel atteste de sa qualité intrinsèque. Elle s’auto-cite, car sa parole est la seule qu’on écoute. Elle profite d’une situation de monopole, tirant son efficacité du simple fait qu’elle n’ait pas besoin de se présenter, que tout le monde la connaisse, qu’elle ait toujours été là. Tout parallèle avec le privilège blanc est permis.

Aucun hasard donc si l’on voit émerger l’electro-pop : une économie de moyens qui doit moins à la démocratisation de la pratique qu’à une nécessaire rationalisation des coûts. Faire de la pop qui coûte cher n’a aucun sens, puisque l’enjeu est précisément celui de la rentabilité. Les artistes pop d’antan sont remplacés par des nouveaux, plus efficaces. Au sens strict, l’electro-pop conjugue le contrôle des coûts (electro) avec la recherche du public le plus large (pop). Il s’agit donc bien du style le plus économiquement compétitif. Tout style de musique qui n’est pas electro, ou pas pop, est condamné à moins bien se vendre que l’electro-pop, car moins compétitif. Dès lors qu’on ambitionne de faire autre chose que vendre, on entre dans une démarche artistique, et l’art suppose une vision, un projet de société : tout cela a un coût et entraîne une perte de compétitivité.

Et si certains voient dans la pop une discipline démocratique, il doit s’agir de la même démocratie dont parle un publicitaire. Ou pire, de cette démocratie totalitaire qui impose l’austérité au nom de l’égalité. Vous mangez des pâtes, mais vous mangez tous des pâtes, les pâtes sont donc démocratiques. Merci bonsoir

Conclusion : la pop existera aussi longtemps que le capitalisme, les artistes pop ne font pas le même métier que nous, il faut arrêter de les écouter, d’en parler, de les fwder sur Facebook et surtout d’écrire des articles sur eux oups.