Bonjour, constat : de plus en plus de gens appellent « live » le fait de moduler des synthés préalablement programmés sur un mac.
Historiquement, la musique « live », c’est le fait de jouer en chair et en os. Donc si tu reproduis mécaniquement en live des choses enregistrées au préalable, ce n’est pas à proprement parler du live. Et c’est pas grave, car depuis qu’on utilise la reproduction mécanique en concert, on a la possibilité d’aller bien au-delà des orchestres d’antan en termes de recherche de timbre, de maîtrise du groove (appelons ça reproductibilité ou répétabilité) et j’en passe. En revanche, on y perd en humanité, en interaction avec le public, en capacité d’improvisation. Mais c’est pas moins bien, c’est juste autre chose, arrêtons de tout mélanger sinon on se fait gloubi-boulguer.
Aussi longtemps qu’on continuera d’appeler live le fait de reproduire des morceaux enregistrés à l’avance, cette pratique restera une pratique de seconde zone, un ersatz, une version low-cost d’un concert de musique vivante. A la limite on s’en fout, mais bon on pourrait aussi avoir envie de rendre notre art favori respectable et digne, je sais pas moi. Un peu comme un gars qui s’entêterait à appeler son EWI (synthétiseur à vent midi) un « saxophone ». Frère, le prends pas mal, mais ton instrument c’est pas un saxo. C’est ni mieux ni moins bien, c’est autre chose, et plus tu continues d’appeler ça « saxo », plus j’entends ta tristesse de ne pas avoir un « vrai saxo » à la place. Un peu comme un mec qui appellerait sa 205 « ma Ferrari ». Alors qu’un EWI ça a des tonnes de possibilités qu’un sax n’a pas. Et une 205, ben c’est pas cher.
Cette introduction de semi-mauvaise foi étant posée, intéressons-nous maintenant à un paradoxe.
Lorsqu’un artiste module un synthé pré-programmé, il travaille le timbre, et c’est bien là l’essentiel de son travail et l’intérêt de sa démarche. A la limite, avec un GUSO de plus, il pourrait avoir à ses côtés un collègue qui joue le synthé pendant que lui le module. Donc il s’agit surtout ici d’une question économico-historique : les artistes de musique électronique apprennent le plus souvent à travailler seul, ils n’ont pas toujours un collègue claviériste (ou un V-drummer) qui puisse groover en direct avec eux. Ils se contentent donc d’un pattern MIDI programmé à l’avance, et préfèrent travailler le timbre (ou le sound design) en concert. Ce minimalisme est d’ailleurs un avantage, car croyez-le croyez-le pas, mais rien ne prouve que la musique y gagnerait si le pattern en question évoluait en continu pendant sa modulation. Ha !
Or, si je m’intéresse à un pianiste virtuose, je remarque qu’une fois qu’il a appuyé sur la touche de son piano, il n’en maîtrise plus le timbre. La facture et l’accordage de l’instrument interviennent en amont : une fois que le piano est prêt à être joué, l’artiste en déclenche le son en appuyant sur les touches. D’une certaine façon, il déclenche des événements sonores dont le timbre a été défini à l’avance. C’est d’ailleurs la même chose avec un batteur : une fois qu’il a décidé de frapper une cymbale ou un tom, le son qui sera émis par l’instrument dépend de la qualité du matériel, et non plus du talent de l’instrumentiste.
Question qui tue : en quoi la musique d’un pianiste ou d’un batteur est-elle plus vivante que celle d’un artiste de musique électronique qui module un synthé ?
Sans aller jusqu’à dégainer le concept de dérivée ou d’équation différentielle parce que j’ai pas le temps, disons que dans les deux cas, il s’agit d’organiser les événements sonores dans le temps, ce qui est la définition de la musique. Le pianiste intervient au plus près du temps car il décide quels événements jouer, et quand les jouer. L’artiste electro « modulateur », lui, se place au second plan (ou second ordre, par analogie avec la physique), car il façonne (en termes de timbre, de hauteur, de durée) des événements déjà placés.
Le luthier et l’accordeur sont également au second plan : ils définissent le son que produira un instrument à condition que cet instrument soit joué par un instrumentiste, sinon aucun son ne sort. Là j’ai la flemme mais si ça se trouve un arrangeur, un chef d’orchestre, un programmateur de festival, un label manager sont sur d’autres plans encore. Chacun à sa manière, ils organisent la musique dans le temps, mais travaillent sur des échelles de temps différentes. Faudrait faire un jipeg
Qui est le plus « important » entre le pianiste et l’accordeur ? Ils sont interdépendants : sans pianiste, l’accordeur accorde en vain ; et sans accordeur, le pianiste joue faux. Après, on peut trouver de l’intérêt à un chouette instrument dont on joue mal, tout comme on peut trouver de l’intérêt à un super musicien qui joue sur un instrument pourri, c’est une affaire de goût et de stratégie de développement. Mais bon globalement une certaine forme d’alignement des astres semble présider à l’obtention de l’Harmonie au sens large. Tsé quand y’a tout qui va bien.
Bref, pour savoir si on a le droit ou pas d’appeler « live » un concert de musique électronique, il faut s’intéresser à l’interprétation de l’artiste : plus l’artiste s’implique physiquement, plus il y aura de vie dans sa musique, car si vie il y a, elle provient du mec et non de son matos. Si le gars se contente d’appuyer sur 2 boutons et tourner 3 knobs en 3 minutes, bof. Mais quand on voit Jeff Mills saigner une 909, on peut à mon humble avis parler de live.
Parfois, le problème est qu’on est bien embêté pour distinguer l’interprétation de l’artiste du fond sonore qui tourne en continu derrière. L’artiste electro a souvent recours à des éléments sonores joués en boucle, soit par souci d’efficacité dancefloor, soit pour atteindre une forme de transe. Ce qui peut parfois prendre le pas sur ce qu’il est en train de faire en direct, surtout si ce qui tourne en boucle évolue beaucoup, voire évolue sans aucune action de sa part : air-guitaristes, chanteurs en playback, hands-up-DJs, etc.
De même, dans un bœuf où 4 mecs restent bloqués sur un Am7 vaguement fonky, il n’y a pas beaucoup plus de musique vivante que dans une boîte à rythme, finalement. Le taux d’interprétation, d’interaction, d’implication humaine peut parfois se casser la gueule. C’est pour ça que c’est souvent chiant un bœuf : c’est souvent une assemblée de robots myopes qui se cherchent du regard sur une grille en 4/4.
En fait ouais on pourrait calculer un taux de vie en %, qui serait un ratio entre le temps effectif d’exécution de l’artiste et la durée totale de la musique. Un mec qui chante a cappella c’est 100%, parce qu’il interprète 100% du temps, sauf si y’a beaucoup de reverb d’où les églises etc. Un DJ c’est beaucoup moins, car la plupart du temps le disque tourne sans action de sa part. Après y’en a qui foutent des cuts et des effets partout, ce qui est peut être pénible quand le disque est bien, mais salvateur quand le disque est mauvais.
Putain comment j’ai bâclé cet article