J’hésite toujours à sortir des articles liés à l’actualité mais là ça vient téléscoper un brouillon d’article que j’avais en stock donc bon.
Bonjour à tous ! Mon fils va avoir trois ans, il va très bien, ma femme aussi, et je ne parle pas de notre vie privée sur Internet. La paternité est un bouleversement assez incroyable pour ceux qui font le choix de la vivre (car non ce n’est pas obligatoire), et parce que ça remue des choses personnelles, intimes, peut-être même biologiques. Et peut-être que celle-ci a, comme toutes les choses de la vie, un impact sur la création parce qu’elle a un impact sur le créateur.
Comme tous les artistes, je m’inspire de la vraie vie pour nourrir mes textes, ma musique, et tout ce qui va avec. L’arrivée d’un enfant devrait en toute logique être un événement ultra-inspirant, et je devrais déjà être en train d’écrire un refrain pour célébrer son arrivée et mon amour pour lui et ma femme, un peu comme Obispo ou Gainsbourg. Au lieu de ça, je suis sur OpenOffice Writer 4.1.5 en train de chercher à comprendre et à exprimer pourquoi je ne le fais pas, alors même que cela pourrait sortir ma carrière du ghetto où je l’enfonce chaque jour avec un peu plus de plaisir malsain.
C’est que je suis devenu musicien et artiste sur le tard, après deux essais infructueux à l’école de musique locale, d’abord au diato vers mes 11 ans, puis à la trompette vers mes 17 ans, âge auquel j’écris mes premières chansons ska/punk. Et le modèle économique que j’ai choisi, en toute indépendance, et à plein temps à partir de mes 25 ans, m’a amené à opérer une dissociation entre la musique comme discipline artistique, comme travail et comme source de revenus, et la musique comme moyen d’expression personnelle.
Si, à l’époque de Vladivostok, notre punk des années 2000 a clairement rempli une fonction sociale, nous permettant de rencontrer des gens, découvrir des territoires, et apprendre à connaître les institutions qui nous gouvernent, il n’a jamais rempli de fonction émotionnelle individuelle ni même collective. En ce sens, il s’agissait surtout d’un projet politique (au sens strict), alors même que – paradoxe de ouf – nous braillions à loisir notre dégoût pour la caste politique. Évidemment, on est la génération Chirac-82%, comment dès lors s’intéresser à la chose.
Une fois le cadre posé, il n’est venu à aucun d’entre nous l’idée de chanter l’amour, ni aucun autre sentiment individuel, et l’ambiance générale virilisto-périurbaine aurait de toute façon rapidement tourné la démarche en dérision, car la musique industrielle fait bien son taf.
Pour autant, s’il était tout à coup démontré que nous étions des tueurs en série, des communistes ou des mangeurs d’enfants, se poserait tout à coup cette question : peut-on séparer l’œuvre de l’artiste ? Peut-on encore écouter un titre comme Crevard en sachant que l’un de nous est sous les verrous pour viol sur mineure ? Ou un titre comme Vraiment pas sympa en sachant que l’un de nous a torturé et tué des gens ?
Dans la mesure où nous ne parlons pas de nous-mêmes dans notre œuvre, alors oui, on devrait pouvoir écouter le résultat de notre travail même s’il était par ailleurs et ultérieurement démontré que nous étions des criminels (après tout, on utilise bien l’essence de Total ou les routes de Bolloré). C’est ce « dans la mesure où » qui porte toute la difficulté de la question. Des gens comme Cantat ou Polanski parlent-ils d’eux-mêmes dans leur travail ? Se servent-ils de leur art comme un moyen d’expression quant à des problématiques (politiques, sociales, psychosociales) qui les concernent ou qui les touchent, ou bien comme un moyen de se dire eux-mêmes, soignant les plaies purulentes de leurs égos blessés par la vie ? Et y a-t-il un compromis possible entre ces deux cas de figure ?
Puisque nous sommes des animaux, et non des robots, il faut accepter que même chez le plus inoffensif des groupes herblinois de discopunk, il y a de l’égo en jeu, car il faut déjà une certaine dose d’égo pour monter sur une scène ou s’enregistrer sur un disque. Et puisque nous sommes des êtres dotés de rationalité (en des proportions variables certes), il faut croire que même le pire des artistes-criminels est capable de porter un regard critique sur la société qui l’a fait – il me manque encore un peu de hardiesse pour oser dire qu’il est peut-être même le mieux placé pour le faire.
Alors puisqu’on ne pourra séparer l’homme de l’artiste qu’avec une bonne guillotine, on se rappellera qu’Holywood ou une tournée des Zénith n’ont pas grand-chose à voir avec l’art, et que même si un artiste doit purger une peine pour un quelconque crime, il conservera sa notoriété auprès d’un fan-club irréductible, toujours aussi libre de produire de l’art, conservant même une bonne partie de sa richesse. Conclusion :
- séparer l’homme de l’artiste ça paraît compliqué, en tout cas ça doit faire mal,
- priver le criminel de son influence auprès des médias et autres prescripteurs industriels serait juste salutaire. Simple choix de société.
Ceci était un point de vue n’engageant que son auteur : Boris Viande