Bien que les matins polonais peuvent être parfois brumeux, il y a ces derniers temps pour les musiciens indépendants de plus en plus de raisons d’être optimiste. Ainsi, que nous enseigne cette opération coup de poing de Coca-Cola (le roi des bulles) et Spotify (le roi du streaming) ?
Premièrement, l’image.
« Boire du Coca-Cola, c’est aussi cool que d’écouter des pubs entrecoupées de mp3 ! »
« Ecouter de la musique sur Spotify, c’est aussi cool que boire des bulles de sucre marron ! »
Si vous êtes un musicien indépendant à qui on tente de faire croire que Spotify, c’est l’avenir, vous restez peut-être perplexe.
Pourtant, il n’y a aucune mesquinerie, et personne ne se cache, au contraire. La confusion ne réside pas dans les CGV, mais dans le mot « musique », et ce depuis des lustres. 99% de la musique qu’on entend (pas celle que l’on écoute) est de la musique publicitaire. Cool et sympa, elle vous vend un mode de vie bien sapé, du soleil, des amis. Toutes ces choses que vous n’avez pas IRL. Cette musique n’a pas d’autre fonction : c’est du soda sonore.
Pour les 1% restant, ceux qui se souviennent que la musique a jadis été un art ou un moyen d’expression, on aurait préféré un deal avec un musée ou un journal. Et peut-être même que ça existe.
Finalement, ce genre de deal marketing se fait entre produits de même qualité. Alors si votre musique est bien, vous n’avez aucune raison d’être jaloux des groupes de la homepage de Spotify.
Deuxièmement, l’économie.
Avant, on payait pour un disque. Ensuite, on s’est mis à payer pour des fichiers. Puis on a payé l’accès à ces fichiers. Maintenant, on ne paie plus grand-chose. Et c’est normal puisque Spotify et Coca-Cola roulent ensemble. D’ailleurs, n’avez vous pas remarqué ?
Quand vous buvez du Coca, vous avez tout à coup envie d’écouter de la musique de Spotify. Après tout, ça va avec : besoin de se détendre, une pause, un soda frais, le nom de votre pote sur la bouteille, un ours polaire, il ne manquait qu’un fond sonore à base de rock siffloté ou de pop yukulélée. Bien sûr, si le contexte le permettait, vous préféreriez du rock, du hip-hop ou de la techno. Mais bon on peut pas toujours mettre le son à donf, et il faut bien réussir à trouver un consensus dans l’open space ou la galerie commerciale.
Et quand vous écoutez Spotify, cette musique qui vous met de bonne humeur, qui vous parle des vacances, vous vous évadez, vous avez envie de boire du Coca. Bien, sûr, si le contexte le permettait, vous préféreriez du whisky. Mais bon, vous allez encore être vaseux au taf demain. Et de toute façon vous allez pas boire du whisky pur, ni mettre de la flotte dedans.
Voici donc venir une nouvelle (et dernière ?) étape de la reconfiguration économique du secteur. Il y a quelques années, on s’est mis à vendre des fichiers pour que les gens se saignent pour un iPod. Bientôt la musique publicitaire sera complètement gratuite ; aucune importance ! De toute façon, l’homme aura toujours soif.
Troisièmement : et l’art dans tout ça ?
Oui tiens l’artiste il est passé où ? A-t-il un avis ?
On a mis le temps, mais grâce au progrès technologique, aux métadonnées et à la loi de Moore, on va enfin pouvoir éclaircir ces termes obscurs que sont « musique » et « artiste ». Le brassage de ces milliards d’octets permet en effet de déceler les affinités les plus pertinentes : la machine analyse ce que vous bouffez et vous indique quelle musique écouter en même temps. Inversement, la machine détecte la subversion et l’élimine. (Comment ça des chansons de 7 minutes ?)
Les artistes que vous entendez quand vous buvez du Coca sont à l’aise dans ce nouvel écosystème. Après tout, eux aussi n’ont jamais désiré autre chose qu’être consommés par le plus grand nombre.
Pour les autres, ceux qui ne font pas de la musique pour se vendre, mais pour s’exprimer, ou pour partager du plaisir, il ne reste qu’à attendre encore quelque mois pour que l’offre musicale décante un peu plus. Chez Vlad, nous faisons le pari que resurgira alors du néant numérique la musique que nous aimons et dont nous avons tous besoin. Juste le temps de réorganiser les rayons du supermarché mondial, car notre musique ne donne pas vraiment envie d’ouvrir un Coca.