Comme dirait l’autre, quelle belle fête ! Grâce à la chouette complicité du très cher Renaud du Labo (Dinan, Côtes d’Armor), nous avons pu réitérer notre opération de sabotage cheap de l’industrie musicale, telle que nous l’avions initiée en 2019 – si vous avez loupé cet épisode, vous pouvez vous refaire ici.
Cette année, l’atelier a été renommé « Au revoir Spotify », d’une part pour maximiser les clics (avec succès comme on va le voir) et d’autre part pour essayer de mieux formuler les choses, s’agissant d’un point de vue pour le moins marginal dans le paysage des musiques enregistrées et encore au stade de l’ébauche.
De quatre inscrits en 2019, nous sommes passés à une dizaine cette année, signe que la communication potache à la Topito a bien fonctionné, ou bien que Renaud a su rameuter les foules, l’histoire ne le dira pas. En tout cas, on est passé d’un atelier à la fois très large et très dense (ce qui avait fait l’objet des principales critiques à l’époque) à un format plus court et plus précis, grâce à des participants fougueux et d’une belle curiosité – ainsi que d’une capacité de concentration à toute épreuve devant une avalanche de chiffres et d’acronymes en cascade. Si vous n’y étiez pas, je vais tenter ici de rendre compte de quelques résultats nouveaux de cette expérimentation – si vous y étiez, n’hésitez pas à intervenir pour compléter / rectifier, on paie pas cher le kilo octet par ici.
Le profil des participants
Pour la plupart, des groupes constitués, qui tournent déjà, sur la voie d’une intermittence – ou pas. Artistes en auto-production désireux de franchir un cap, ils commencent à creuser les notions d’ISRC, d’aides SACEM ou ADAMI, de licence de spectacle : on voit là le profil-type des artistes Vlad époque 2010, lorsque la mutualisation des forces s’est avérée être le plus court chemin vers des financements complémentaires, donc la possibilité de faire des cachets sans courir après 100 dates par an, donc la possibilité d’écrire et composer pour enfin pouvoir proposer une musique enregistrée qualitative et ainsi tranquillement commencer à peser dans le game.
Et dire que jusque 2010 on était anti-subventions, et qu’on a touché notre première ressource complémentaire en 2015 (une subvention de fonctionnement de la Région Pays de la Loire, que l’on touche d’ailleurs toujours chaque année, merci les loulous). On s’est bien rattrapés depuis lol
Des artistes qui sentent bien que leur musique ne rentrera pas dans les playlists « jogging » de Spotif’ par la seule force du paradiddle et du catering-salade, et qui commencent à se dire « attends deux secondes comment ça marche tout ça en fait ». Bref, notre cœur de cible sur cet atelier lors duquel nous n’avons pas hésité à mettre les pieds dans le plat en commençant par exhiber notre dernier relevé de ventes numériques. Et soudain le drame.
Des artistes pas dupes
Pas de réelle surprise du côté des participants, plutôt même une forme de soulagement, des copains qui se charrient « tu vois je te l’avais dit que ça servait à rien ». L’impasse du streaming est une réalité que beaucoup pressentaient, sans toutefois mettre le doigt dessus, au moins pour ceux dont la musique ne rentre définitivement pas dans les cases rap / pop / electro des plate-formes. Révéler des chiffres moisis tout en faisant le parallèle avec une activité de label et d’éditeur florissante, et des tournées intenses dans tout le pays, le tout abondamment arrosé de financements, était un moyen abrupt mais marrant d’ouvrir les discussions, pour d’ores et déjà poser un premier exemple (pas du tout unique, d’ailleurs nombreux participants ont évoqué les modèles économiques de nos concurrents et néanmoins confrères, tous plus intéressants et pertinents les uns que les autres).
Le choix du modèle économique
Pour certains, il s’agissait ensuite de faire le tri dans les modèles, les stratégies et les budgets théoriques présentés, selon le style de musique, le niveau de développement, le degré de mutualisation visé (autour d’un collectif, d’une scène musicale solidaire, voire auprès d’un gros tourneur ou label).
Ici les exemples de confrères punk, metal ou electro, dans leurs approches DIY, se sont avérés particulièrement intéressants, en ce qu’ils pointent en creux les enjeux politiques liés au recours à des financements complémentaires publics ou privés. Peut-on défendre la même musique dès lors qu’on commence à jouer à ce petit jeu-là, ou bien doit-on rester strictement amateur pour garantir une liberté de création ? Un intermittent, parce qu’il n’a pas de job alimentaire, est-il réellement plus inspiré, ou au contraire tombe-t-il dans une trappe à cachets qui le conduit à courir week-end après week-end après des GUSO et autres GIP pour tenter de boucler un statut fragile ? On a décidément des discussions plus profondes sur l’art quand on cause avec un groupe amateur que quand on cause avec un industriel, c’est d’ailleurs pour cela que je passe autant de temps à rencontrer des artistes auto-produits alors que je pourrais perdre la même quantité de temps à faire des playlists sur un site vert.
A la limite du micro-consulting
Certains participants venaient en curieux prendre des infos histoire de se positionner, d’autres venaient avec des interrogations assez précises, et leurs exemples ont souvent permis d’illustrer quelques tirades abstraites. Dans cet atelier nous avons choisi de laisser la porte ouverte à du micro-consulting fugace, car il était évident que répondre en cinq minutes à une question précise d’un artiste permettait à la fois d’en aviser d’autres, et de montrer comment on peut, en créant les conditions d’un échange en toute transparence, faire avancer une réflexion de plusieurs mois sinon années.
D’autre part, et pour ce qui est des questions liées au cadre juridique, il est assez clair qu’aucun artiste n’osera appeler une institution quelconque pour aborder un problème lié à l’emploi des musiciens ou la fiscalité sur la vente d’albums. Cet atelier peut donc servir de confessionnal pour les coquins qui ont osé payer leur essence avec les thunes du merch haaaan.
Nan vraiment c’était top
Idéalement suivi d’un after mouillé au chaleureux Canard Electrik, cet après-midi a permis d’améliorer la formule, qui lorgne décidément vers un fonctionnement au plus près des artistes de tout poil, pour peu qu’ils s’intéressent à une alternative à la bande FM. Nous continuerons donc de conquérir le pays par la base, arpentant chaque kilomètre-carré de sa province, persuadé que chaque musicien – quelque soit son niveau de compromission dans l’économie du spectacle vivant et de la musique enregistrée – est porteur d’un bout de la réalité de l’incroyable puissance créative que recèle ce pays à l’abri des quatre accords magiques.
Crédit photo : Le Télégramme