Attention, ce sont des spécialistes qui parlent !
Pour se démarquer aujourd’hui dans le paysage ghetto-folk, on est souvent tenté d’aller vers le clash des cultures, et faire se télescoper des répertoires en théorie disjoints. Hop j’te mets un petit chant en swahili sur mon track bhangra, ou un bandonéon sur un kuduro. Rien de plus simple que d’organiser la rencontre des folklores à l’heure des programmes Erasmus, d’Easyjet et de Club-Internet. Plus c’est mixé/remixé, plus c’est global, plus j’aurai de likes sur Sondeclaude.
Et pourquoi pas ? La musique est un langage, et de nombreux exemples réussis de fusion musicale donnent envie d’abolir les frontières, faire la peau des nationalismes de tout poil, dans un grand patchwork universalifiant et global de grooves et d’harmonies, permettant accessoirement d’élargir à loisir l’audience du projeeet. La libre circulation de la musique : ça ne vous rappelle rien ?
Fluidifier le marché, abolir les freins à la compétitivité, organiser un marché unique : ce jargon de type MEDEF pourrait tout à fait qualifier la vision que peuvent parfois avoir certains acteurs des scènes global beats, ghetto folk ou world music. Où se trouve la limite entre :
– le métissache musical qui unit les hommes dans la paix ;
– un gloubi-boulga d’appropriation culturelle mal caché derrière un universalisme lénifiant ?
D’un point de vue strictement musical, il n’existe pas 4000 façons de faire se rencontrer 2 folklores sur un morceau. Listons ici les 3 plus évidentes.
La méthode « featuring »
Prenez un morceau du folklore A, et intégrez-y un élément du folklore B, sous la forme d’un instrument, d’une voix, d’une langue ou d’un rythme. Vous obtenez globalement un morceau du folklore A, avec une influence – ou disons une « présence » – d’un folklore B.
La méthode « bootleg »
Alternez librement entre les folklores A et B au fil d’un même morceau. Vous obtenez un morceau relevant du bootleg (ou du mash-up), qui peut présenter des problèmes de cohérence et de rythme si la cassure entre A et B est trop nette. On entend rarement de tels morceaux, sauf à considérer que l’electro est un folklore, auquel cas le moindre track house avec un break world relève de cette méthode.
La méthode « fusion »
Tentez de mixer harmonieusement (après tout, c’est votre taf) les folklores A et B sur une base commune. Vous obtenez globalement quelque chose qui n’est ni vraiment A, ni vraiment B : vous obtenez quelque chose d’autre, qui peut être intéressant ou efficace, ou pas, en fonction de votre talent.
Toi aussi, amuse-toi à identifier quelle a été la méthode utilisée pour composer tes morceaux préférés !
Maintenant, qu’est-ce que cela dit de l’artiste, de sa vision, de son projeeet pour la bande FM ou le dancefloor ?
Pour la méthode featuring, le morceau obtenu relève toujours du folklore A. L’ajout d’un second (voire d’un troisième) folklore sous forme d’un élément additionnel ne fait pas pour autant basculer le titre d’un répertoire à un autre. En revanche, il peut dans les meilleurs cas servir une démarche d’ouverture vers une autre culture – dans les pires cas, il peut aussi s’agir d’un vulgaire featuring commercial pour tenter de récupérer un auditoire offshore. Pour en juger, il faut s’intéresser au parcours de l’artiste, le contexte (titres des morceaux, communication autour du disque ou du spectacle…). L’artiste reste donc un artiste du folklore A qui aurait décidé de faire évoluer le style en proposant d’intégrer une influence extérieure. Historiquement, les musiques traditionnelles ont presque toujours évolué par cette méthode.
La méthode bootleg est souvent typique d’une rencontre au sens strict : par exemple, 2 groupes ou artistes décident d’entrer ensemble en studio et de monter des morceaux ensemble : on entend distinctement l’un et l’autre groupe alterner dans le titre – et on les reconnaît toujours. Etant donné que l’intégrité musicale de chacune des parties est préservée, il s’agit d’un dialogue équilibré, et non d’un featuring : l’objet central de la démarche est l’échange entre les parties. Il peut y avoir un côté biographique, historique, assez personnel. Quelque part, c’est aussi le cas pour un morceau d’electro qui utiliserait un sample world sur le break : la volonté d’actualiser un traditionnel, de créer un pont entre un public electro et un public world est une forme de dialogue, et reflète la volonté de l’artiste remixeur d’organiser un échange entre 2 répertoires, même si cela se fait par DAW interposé.
Enfin, la méthode « fusion » se donne pour but de créer quelque chose de nouveau – en cela, elle se distingue radicalement des 2 premières. L’intention est alors de créer un nouveau répertoire qui serait issu de la digestion d’éléments de A et de B. Musicalement, c’est là qu’il y a le plus gros travail, car il faut faire fusionner des grooves ou des harmonies qui ne marchent pas nécessairement ensemble au départ. Cette démarche est le plus souvent inconsciente : un artiste peut conserver ses habitudes de phrasé, d’harmonie ou de structure même lorsqu’il s’attaque à un autre style de musique que celui qu’il a habituellement pratiqué auparavant.
Lorsque cette fusion est bien réalisée, cela peut donner des résultats tout à fait excitants, bien qu’ils tendent à quitter leur répertoire world d’origine. On s’approche en effet souvent :
– soit de l’expérimental, avec une musique hybride et originale, libérée des étiquettes ;
– soit du club, si l’efficacité dancefloor prend le pas sur la tradition ;
– soit de la pop, si la sifflotabilité tend à remplacer la tradition comme fil conducteur et élément structurant du morceau. La musique industrielle s’est d’ailleurs toujours construite de cette manière, puisqu’elle ne repose sur absolument rien d’autre musicalement parlant.
Maintenant fais ce que tu veux frère, on sait où t’habites.