Le Grand Plan Vlad en faveur de la formation, de l’insertion, des conditions de vie et de la diversité des jeunes créatifs

Dans le cadre des Assises de la Jeune Création, la Ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, vient de rendre public un plan de 19 mesures en faveur de la formation, de l’insertion, des conditions de vie et de la diversité des jeunes créateurs. Chouette !

Maintenant que vous l’avez lu, parlons de ce plan qui s’adresse en priorité à des jeunes créateurs en cours de professionnalisation. Des gens qui ont donc décidé dès le lycée qu’ils allaient vivre de leur travail artistique. Des esprits chagrins diraient même : des gens qui ont été en capacité de décider très tôt qu’ils seraient des artistes professionnels. Ça fait pas grand-monde ! Ce n’est certes pas le parcours des artistes Vlad qui ne sont pas tout à fait issus du conservatoire – suffit de voir comment certains jouent de leur instrument, lequel est souvent d’ailleurs en mauvais état. Mais après tout si les jeunes pros sont dans le besoin c’est plutôt chouette que la Ministre leur vienne en aide. En plus c’est sympa de prendre des cours et tout.

Alors je profite de l’occasion pour énoncer mon Grand Plan Vlad en faveur de la formation, de l’insertion, des conditions de vie et de la diversité des jeunes *créatifs*. Étant bien élevé, je vais commencer par résumer les propositions du plan ministériel tout en donnant mon point de vue tranquillou. Puis j’énoncerai mes 19 mesures. Si le Ministère veut me contacter, mes coordonnées sont sur cette page – discrétion assurée.

Mon avis sur le plan du Ministère

1. Le plan propose d’améliorer l’orientation et la formation.

Il y a pourtant beaucoup (une majorité ?) de formes artistiques qui échappent au dispositif étatique. Par définition, l’État aura toujours 5, 10 voire 20 ans de retard sur les pratiques des citoyens. Par exemple, le plan annonce la création d’un diplôme d’état danse hip-hop et des mesures sur le street art. Super ! Ça fait 20 ans que les Français pratiquent ces disciplines. Faut-il attendre 2050 pour le diplôme de moombahton ou de danse flax basix ? Survivrons-nous d’ailleurs si longtemps sans diplôme ?

2. Le plan propose de favoriser l’insertion professionnelle.

On est en 2015 : j’ose affirmer que tout un chacun est à même de proposer un travail artistique. La question est de savoir si ce travail est de qualité, donc s’il peut intéresser des gens et donc trouver un public. Le Ministère n’a pas ici eu besoin de se poser cette question : les jeunes créateurs, correctement formés dans les écoles dont on parlait en 1°, créent : on met donc en place des mesures pour les aider à devenir des professionnels, puisque leur création est nécessairement digne d’une rémunération. On décide ainsi quelles sont les pratiques artistiques qui doivent devenir des métiers. Ça m’embête un peu.

3. Le plan propose de favoriser l’innovation en réseau.

Ça pour le coup c’est bien 2015 : des mesures qui semblent prendre acte de la décentralisation (voire désacralisation) de la création, rendue possible par les nouvelles technologies et la baisse des coûts de production. C’est probablement le volet censé contre-balancer les mesures précédentes : quelques mesures bottom-up après une série de mesures top-down (pour les non-bilingues : quelques mesures qui vont du bas vers le haut après une série de mesures qui vont du haut vers le bas – étant toutefois précisé que le haut est ici le Ministère et le bas les créateurs).

4. Le plan propose d’améliorer la rémunération des artistes et leurs conditions de vie.

Comment être contre ces mesures ? Le Ministère est dans son rôle en garantissant l’exercice de la création indépendamment de sa valeur marchande, reconnaissant ici ses apports non monétisables. Dommage qu’il ne s’adresse pas également aux créateurs non professionnels qui fournissent aussi un travail artistique, créateur de lien social et d’épanouissement culturel, souvent tout aussi digne de rémunération. Ces créateurs ne connaissent non pas la précarité, mais le bénévolat, généralement illégal : musiciens amateurs donc dans l’illégalité, organisateurs de festival sans licence, lieux de vie victimes de voisins atteints d’hyperacousie et de mesures anti-bruit appliquées avec zèle…

5. Enfin, le plan s’efforce de défendre la diversité des artistes et des pratiques.

C’est bien d’aider les jeunes créateurs professionnels, mais si on veut vraiment défendre la diversité des artistes, pourquoi ne pas inclure les autres jeunes créateurs ? Le plan se souvient tout à coup d’eux à la mesure n°19 : il faut sensibiliser tous les jeunes, tout particulièrement ceux qui n’auraient pas spontanément pensé suivre les cursus des conservatoires – ça fait du monde ! Peut-être ici l’occasion de penser la création et le parcours professionnel hors du conservatoire ?

Le plan prévoit d’intégrer davantage l’art urbain à l’offre existante. Il faut ajouter l’art rural, l’art péri-urbain, l’art du reste du monde et l’art d’Internet. J’en oublie sûrement.

Et pourquoi pas les vieux ? Y aurait-il un âge limite ? Peut-être celui à partir duquel c’est fichu car on s’est résolu à une autre carrière faute de perspectives, même pour ceux qui avaient spontanément pensé, non pas faire le Conservatoire, mais juste devenir artiste ? Et sont-elles vraiment si diverses, ces pratiques enseignées au Conservatoire ? Elles sont, j’imagine, très variées, très diversifiées ; c’est-à-dire différentes les unes des autres, dans un périmètre donné. Mais diverses, ça renvoie à l’exhaustivité des pratiques de tout l’univers. Peut-être le moment idéal pour repenser l’institution, ce qu’elle peut et ne peut pas faire, ce qu’elle doit et ne doit pas faire.

Voilà pour le plan du Ministère. Maintenant, voici le mien.

Le Grand Plan Vlad en faveur de la formation, de l’insertion, des conditions de vie et de la diversité des jeunes *créatifs*

Travailler sur la sensibilisation et le choix

1. Sensibiliser les élèves de l’enseignement secondaire à la possibilité et à la faisabilité d’une carrière artistique

Dans l’économie d’hier, il fallait choisir un métier, puis s’y former pour pouvoir l’exercer tout sa vie. A l’ère de l’économie collaborative, les métiers de la création doivent prendre acte des bouleversements dans l’organisation du travail : de plus en plus, on aura plusieurs carrières, successivement ou en même temps. Très tôt, l’élève doit pouvoir intégrer les métiers de la création dans l’éventail des activités auxquelles il pourra s’adonner, que ce soit durant 100% de son temps, 50% ou même 10%.

Des millions de créateurs sont issus de milieux sociaux dans lesquels les métiers de la création sont méconnus et généralement perçus comme non rémunérateurs, trop difficiles, parfois simplement inutiles. C’est en améliorant l’image du secteur auprès de tous les jeunes qu’on garantira l’égalité des chances et la diversité.

Une meilleure présentation de l’offre de formation, oui, mais en incluant des parcours d’artistes non professionnels et d’artistes professionnels non issus du Conservatoire. Une campagne d’information, oui, mais en y faisant aussi participer des artistes non professionnels et des artistes professionnels non issus du Conservatoire.

Cet effort devra notamment s’adresser à tous les élèves, bien au-delà des élèves de Terminale Littéraire – il y a des artistes partout.

2. Former à la démarche artistique plutôt qu’à une pratique artistique donnée : passer du jeune créateur au jeune créatif

Il faut repenser la formation : former des élèves aux pratiques existantes est une chose ; développer la pratique de demain en est une autre. L’accent doit être mis sur la démarche, le lien social permis par la création, le rapport à l’autre, l’épanouissement culturel. Il faut apprendre à reconnaître ces bienfaits dans toute pratique et non uniquement dans celles que l’on connaît déjà. C’est ainsi qu’on se débarrassera des biais socioculturels et qu’on avancera petit à petit vers la culture du vingt-et-unième siècle. Oui j’y vais fort.

3. Favoriser la diversité des élèves pour un cursus donné

Il faut travailler sur la perception des pratiques par les jeunes créateurs eux-mêmes : aucune pratique ne doit apparaître comme étant réservée à une population donnée. La création doit rester vive, interlope, curieuse ; la vraie diversité est celle que l’on peut observer à l’intérieur d’une classe de hautbois ou d’un cours de graffiti, pas celle qu’on peut observer dans l’ensemble des jeunes créateurs – parmi lesquels certains ne se rencontreront jamais durant leur parcours artistique. Or, appréhender la pratique de l’autre, c’est appréhender l’autre.

4. Intégrer toutes les pratiques dans la recherche

L’apport de la création à la compréhension du monde, qu’il s’agisse de pratiques anciennes ou nouvelles, doit être valorisé. Le public, c’est-à-dire le citoyen, doit bénéficier des travaux de création menés par les artistes. Chaque œuvre, chaque représentation est porteuse de sens, de lien social, d’un projet de société : celui-ci doit être expliqué, clair, accessible. Sans celui-ci, l’art contemporain n’est que de la décoration, et la musique une ambiance sonore apaisante destinée aux grandes surfaces.

5. Former aux nouveaux moyens de production et aux nouveaux modèles

Les moyens de production d’à peu près tous les secteurs artistiques ont été bouleversés par l’économie numérique. Il faut prendre acte au plus vite de ces changements pour adapter l’enseignement et la sensibilisation. Se rendre dans une classe avec un instrument de musique du siècle précédent ou avec une station de MAO n’implique pas du tout la même perception par les jeunes créatifs.

6. Une école pilote de la diversité dans le création

Je ne sais pas si je l’appellerais Grand Paris Schola, d’ailleurs je ne sais pas si je l’installerais à Paris ou ailleurs, mais une école pilote de la diversité dans la création serait une expérience à mener :
– une école dans laquelle on peut venir étudier 10 ans, 1 an ou simplement 1 mois, quel que soit son milieu d’origine ou ses moyens financiers ;
– une école dans laquelle on n’enseigne pas des pratiques définies mais l’apprentissage d’une pratique, l’élaboration d’une démarche, la valorisation du travail créatif ;
– une école dans laquelle on apprend à expliquer pourquoi et pour qui on crée ;
– une école qui ne forme pas à des métiers prédéfinis mais qui forme à des activités artistiques et qui donne des clés pour la compréhension des mécanismes économiques qui régissent, entre autres, le travail créatif.

Une telle école formera bien sûr des élèves qui se destineront à des carrières artistiques, mais pas seulement. Beaucoup d’acteurs économiques gagneraient à recruter des jeunes créatifs. Tous, en fait. On est en 2015, la planète va crever et nous avec, qui va nous sauver ? Google ? l’Union Européenne ? ou bien une génération d’artistes un peu dégourdis ? Devinez.

Faciliter l’insertion professionnelle des jeunes créatifs

7. Développer les stages en entreprise

Les jeunes créateurs doivent avoir l’opportunité d’approcher davantage le monde de l’entreprise. C’est par une meilleure connaissance de la société, de l’économie et de tout le reste que le futur artiste apprendra à aiguiser son regard et donc sa démarche. L’artiste déconnecté est un rêveur, son œuvre une distraction ; l’artiste conscient est un utopiste et son œuvre une proposition.

8. Favoriser les rencontres par l’insertion interdisciplinaire

Il faut favoriser les rencontres interdisciplinaires pour aider l’artiste à penser sa démarche comme un absolu et non uniquement comme une tradition séculaire à perpétuer. Lui donner la chance de s’essayer à différentes pratiques pour l’aider à s’orienter dans son propre parcours.

9. Favoriser les rencontres en incluant les non-jeunes

La vision paternaliste de l’aîné qui a forcément l’expérience doit être dépassée : beaucoup de jeunes créatifs, surtout parmi les non professionnels, ne se reconnaissent pas dans ce modèle unidirectionnel et ressentent le besoin de s’exprimer par eux-mêmes hors des schémas établis. La relation entre le jeune créatif et le non-jeune créatif doit fonctionner dans les deux sens. La démarche d’un jeune créatif peut être porteuse de sens pour tout un chacun, y compris pour d’autres générations que la sienne.

Favoriser l’innovation

10. En premier lieu, il faut changer de vocabulaire

Le plus gros effort d’innovation portera sur la nécessité de passer d’un vocabulaire de pratiques, de diplômes, de carrières à un vocabulaire de démarches, d’autonomie, d’activités. C’est une bonne chose de créer des réseaux, mais si l’on y trouve à l’onglet « description du profil » une liste déroulante dans laquelle il faut choisir sa pratique parmi « danse », « musique » ou que sais-je, alors on aura une nouvelle fois manqué une occasion de progresser. Un jeune créatif doit pouvoir se définir selon d’autres critères : est-il plutôt technique ? Travaillant son geste ? Est-ce un conformiste qui perpétue une pratique donnée ? Est-ce un improvisateur ? Un provocateur ? Travaille-t-il pour lui-même, pour l’Histoire, pour l’argent, pour ses pairs ?

11. Et changer de système de classification

De la même façon, plutôt que se demander si une œuvre relève de la musique, du spectacle ou des arts visuels (par exemple), il faudrait se demander quels sont les canaux de communication qu’utilise cette œuvre avec le public (visuel, sonore, émotionnel…) et quel est le discours qu’elle véhicule. Certains morceaux de musique sont composés dans le but de nous vendre un certain idéal de vie. Certains tableaux sont peints dans le but de commémorer un événement particulier. Certains spectacles sont conçus pour nous faire ressentir des émotions précises. Parfois, on ne sait pas. Parlons-en.

12. Penser également la création hors du territoire

Est-il vraiment utile pour la société de savoir que tel artiste provient de tel territoire ? En dehors de considérations liées à l’attractivité, rien ne l’indique. Cela peut au contraire parfois confiner à la stigmatisation. Le milieu rural est par exemple désavantagé dans cette compétition globalisée, car le territoire y est moins marketé. Il faut apprendre à penser la création comme étant parfois déconnectée du territoire, lequel a souvent beaucoup plus à voir avec le politique et l’économique qu’avec l’artistique.

Améliorer les conditions de vie des jeunes créatifs

13. Aider les créatifs à trouver leur public

Il ne s’agit pas tant de subventionner les artistes que de les aider à monétiser leur travail. Plutôt que décider en amont les pratiques dignes de faveurs, il faut permettre à toute pratique la confrontation avec le public tout en garantissant la maîtrise de l’écosystème économique.

14. Faciliter l’autonomisation du créatif

L’artiste est trop souvent peu ou mal informé sur ses droits, en tant que créateur, ou encore interprète. La désinformation, propice aux délires paranoïaques, prolifère sur les réseaux auprès des créatifs amateurs qui n’ont pas aisément accès à l’information.

Parallèlement, il est urgent de légaliser l’amatorat et de garantir des espaces légaux d’expression pour toutes les pratiques.

15. Aider le public à trouver ses artistes

Une immense majorité de citoyens n’a pas le choix dans les œuvres qui lui sont présentées quotidiennement. La musique, l’art plastique s’imposent à tous sans faire l’objet d’une distanciation suffisante, générant des générations entières d’artistes conditionnés par des pratiques dont les démarches sont inexpliquées et les apports discutables.

Une expérience intéressante consisterait à permettre à un public donné, sur un territoire, de définir l’art dont il aurait réellement besoin. C’est-à-dire la pratique ou la forme artistique qui serait une réponse à un problème de société identifié (le racisme, la pauvreté, la solitude, le handicap…) Une fois cette réponse définie, il serait intéressant de voir si ce public est à même de mettre en œuvre lui-même cette réponse.

Œuvrer à la diversité des créatifs et des publics

16. Acter de la diversité des créatifs

Les créateurs ont certainement besoin de plus de diversité dans leurs effectifs. Les créatifs sont, eux, extrêmement divers. Il importe plus de les reconnaître comme tels que de chercher à en faire rentrer davantage dans les carrières pensées pour eux par le système actuel. L’aménagement d’un statut fiscal et social souple permettra à un plus grand nombre d’entre eux de se revendiquer comme tels, augmentant ainsi la porosité entre amateurs et professionnel – si tant est que ces termes continuent de signifier quelque chose dans l’économie de 2020.

17. Acter de la diversité des moyens de production

Tout comme l’état ne décide plus quelle voiture on doit fabriquer, mais doit garantir l’avènement d’une offre industrielle, l’état ne doit plus choisir de quel instrument je dois jouer, mais doit m’aider à le choisir, l’inventer, le pratiquer et à comprendre comment valoriser le travail artistique que je peux fournir grâce à cet outil qu’est l’instrument.

18. Cultiver la diversité des publics

On l’aura compris, cette histoire de diversité m’a titillé, et je me permets d’inverser carrément le protocole en disant ceci : pour penser la diversité, il ne faut pas chercher la diversité dans les artistes, mais dans les publics touchés. Commençons par lancer une étude sur la représentativité des publics dans l’offre artistique des Conservatoires.

19. Nommer un créatif non-fonctionnaire au sein du comité ministériel

Je serais bien candidat moi-même, mais j’ai peur d’être trop cher.

Romain

Comme d’habitude, les articles d’actualité de ce blog n’engagent que le staff Vlad, et non les artistes avec lesquels nous travaillons. Mais certains sont d’accord.