Exclusif : Vianney et Maître Gims avouent !

J’essaie généralement de ne pas citer d’artiste de musique industrielle, pour éviter d’aggraver leur cas. Mais l’occasion est trop belle. Ce titre de Vianney et Maître Gims dont le refrain est « Si je vous gêneuh / bah c’est la mêmeuh » est un aveu d’une incroyable lucidité.

En effet, vous aurez peut-être remarqué qu’un des thèmes principaux des singles industriels français récents est le clash des haters, la raillerie des jaloux, par opposition à l’artiste qui s’est fait tout seul envers et contre tous. Rebattu, ce thème permet de réécrire l’histoire de la pop comme musique populaire, et de faire oublier que son omniprésence est artificielle, subventionnée, voire totalitaire.

Le refrain incriminé prend ici tout son sens. En effet, la musique industrielle gêne. À au moins deux niveaux.

Premièrement, en occupant l’espace sonore, elle fait obstacle à d’autres musiques, donc d’autres discours, d’autres visions de la société. La saturation de la bande FM par des refrains tels que celui-ci permet d’empêcher la diffusion des refrains plus critiques vis-à-vis du capitalisme (ou du modèle social de responsabilité individuelle, en l’occurrence). Donc oui Vianney, tu nous gênes, ta présence sur les ondes et les scènes des festivals a moins pour but de nous faire vibrer avec ta voix et tes cheveux que d’empêcher des artistes révolutionnaires de s’exprimer.

Et je ne parle même pas ici de chanter ACAB ou quoi, mais simplement de louer par exemple un modèle social solidaire, ou bien lutter contre le sexisme, le jeunisme ou encore l’appropriation culturelle. La pop industrielle nous rabâche de manière de plus en plus explicite qu’il ne faut compter que sur soi-même. En cela, elle freine tous les progressismes. Aujourd’hui, elle nous dit littéralement que si cela ne nous convient pas, et bah c’est pareil. Tout comme chez Macron et son « qu’ils viennent me chercher », l’arrogance fleure bon la fin de règne.

Cette musique existera aussi longtemps que le capitalisme, car sa présence a pour but d’occuper nos oreilles, et nous empêcher d’entendre autre chose. Cet autre chose qui serait contestataire par nature, et révolutionnaire par définition. Le même phénomène a d’ailleurs cours à la télévision, au cinéma ou dans les librairies.

Deuxièmement, elle est gênante dans le sens où lorsqu’on l’entend, on est généralement gêné. Enfantine, immature, elle nous fait honte dans sa simplicité et sa nullité (harmonies, textes, universalisme libéral pété) et c’est fait exprès. L’idée est de discréditer durablement le concept même d’une musique intelligente, cultivée, qui pourrait faire évoluer les choses, socialement ou moralement.

En nous abreuvant de Maître Gims, le capitalisme tente de réduire la totalité de l’art musical et la pratique de la musique à un loisir inoffensif, vide de sens et ridicule, dont l’exercice est réservé aux enfants ou aux jeunes mal dans leur peau. Réciproquement, le but est de réduire les jeunes à « leur » musique, les renvoyer à une imagerie de droite, les culpabiliser s’ils chôment, car comme le dit le poète industriel, seul le travail acharné a fait des artistes des héros du ghetto.

Tous les jeunes français rêvent de musique industrielle. Combien s’en émanciperont un jour ? Combien entr’apercevront les vertus solidaires et progressistes qui peuvent s’exprimer à travers un art avisé, conscient ?

Le plus triste, c’est que les artistes eux-mêmes sont très certainement inconscients du rôle qu’ils jouent. La simple lecture de ce modeste blog pourrait les pousser au suicide. Si vous connaissez personnellement un artiste industriel, essayez de l’aider, je sais pas moi il est peut-être encore temps.

La bonne nouvelle, c’est que la nudité blafarde qui leur sert désormais d’esthétique ne convainc plus grand-monde et nous permet d’imaginer de plus en plus facilement une autre musique. Une autre musique est possible, elle est même nécessaire, et elle existe déjà : seule sa diffusion est bloquée.

Quant aux artistes industriels, ils ne nous gênent que si nous rêvons de leur place. Alors au boulot. Ne perdons plus notre temps et notre énergie à essayer de dégager le passage avec nos petits bras, continuons plutôt à imaginer des chemins de traverse. #poésie

Crédit photo : paysage périurbain, horizon de l’artiste thug aux prises avec la concrétude du capitalisme.