La musique nous éloigne

Je sais, c’est pas intuitif, et tout le monde passe son temps à vous raconter exactement l’inverse mais croyez-moi, au moins pour ces 5 prochaines minutes : la musique nous éloigne.

En effet, quoi de plus insupportable que la musique des autres ? Le voisin qui met Amir à fond et en boucle ? PNL dans le covoit ? Le hardcore du dimanche matin ? La house de droite dans les magasins ?

Les goûts musicaux nous permettent de savoir en quelques secondes à qui on a affaire. Et bien sûr, dans 99% des cas, l’autre écoute de la musique de merde. On pourrait même dire que l’autre est celui qui écoute de la musique de merde.

Vous êtes-vous déjà senti aussi isolé que quand tout le monde se met à chanter à tue-tête un refrain que vous ne connaissez pas, ou pire – que vous détestez ?

Après un petit millier de dates depuis quinze ans, je n’ai jamais autant aimé la musique, et je ne me suis jamais senti aussi seul dans mon amour pour elle. C’est bien simple, j’en suis venu à monter un label pour réunir quelques collègues, et je trouve encore le moyen de pas être d’accord avec eux sur un arrangement de snare ou un tracklisting d’album.

Bien sûr, dans nos vies 2017, l’oppression sonore quotidienne est telle qu’il peut paraître illusoire d’essayer de s’y opposer. Mais alors, à quoi servons-nous ?

Parce que la musique est le langage le plus instinctif et le plus universel, elle permet une communication immédiate et totale. Le small talk est impossible, la politesse grossière. Impossible de ménager l’auditeur, sauf à jouer de l’anti-musique, c’est-à-dire une musique neutre, industrielle, conçue pour occuper l’espace avec de l’absence de culture, de façon à faciliter les transactions nécessaires à la bonne marche du capitalisme.

Face à la toute-puissance du son, l’artiste peut choisir entre deux approches : la reddition ou le combat.

La reddition consiste à démissionner purement et simplement de son rôle, pour se rapprocher d’un rôle d’animateur, ou de technicien de l’amusement. Levez-vous, tapez dans les mains, chantez avec moi, quelques blagues géographiques. Bref, comportez-vous comme un public normal, comme ça j’aurai l’impression d’être un artiste normal.

L’approche de combat demande au contraire de s’affranchir du protocole traditionnel artiste-public. Le respect ne se demande pas, il se mérite ; et en débarrassant la musique de toutes ces sollicitations tristounes et intempestives, on lui redécouvrira une fraîcheur insoupçonnée.

Plutôt que demander aux gens de danser, réfléchir à ce qui fait que les gens dansent. Plutôt que répéter le nom du groupe au micro ou vendre 4 CDs à dix balles, faire en sorte que les gens se rappellent du set, même sans pense-bête. Parce qu’elle est un langage, la musique n’est pas un produit ordinaire ; et si on peut réussir à vendre un mauvais produit avec un bonne réclame, une bonne musique n’a pas besoin de marketing pour convaincre.

C’est un peu comme l’amour, si votre technique de drague consiste à demander à votre partenaire de vous aimer, vous ne séduirez que les désespérés. Et tant mieux. Il en faut pour tout le monde. Mais cela ne fait de vous ni un bon amant, ni un artiste.

Se recentrer, donc, sur le son plutôt que sur l’image. Un bon moyen pour y parvenir est de se concentrer sur la musique telle qu’elle est, sans l’artifice du spectacle ou d’une grosse scène avec 500(0) personnes alcoolisées devant : par exemple, dans un studio de répétition, ou dans un home-studio.

Alors, à force de travail et de confiance en soi, on se réconciliera avec la musique, dans toute sa vitalité, sa richesse et sa puissance. On parviendra à dépasser les Am C F G, les A B A B C B A A et les snares en 2 et 4. On surmontera la peur du vide et du silence.

Alors, on fédérera des inconnus autour d’une même pulsation, dans une transe charnelle et silencieuse, qui n’aura besoin ni d’injonctions à la joie, ni de tubes planétaires, ni de remerciements ennuyeux. Car nous ne serons plus dans un rapport de prestataire de lol à public aviné, mais dans un rapport de confiance mutuelle. Alors, l’espoir reviendra. Et nous nous retrouverons.