Encore une fois, j’ai pris beaucoup trop de plaisir à intervenir auprès d’artistes semi-pro, merci Aurélien (l’Echonova, Vannes, BZH) pour ta confiance ! Vraiment le bon outil que cette journée d’échanges autour de projets musicaux et de leurs modèles économiques, mais aussi artistiques, car en filigrane de chaque ligne d’un budget de production, il y a des choix de production, faut-il mettre de l’argent ici plutôt que là, donc besoin de savoir de quelle musique on parle.
C’est pour cela que je me borne, durant ces sessions, à donner des ordres de grandeurs, des règles de calcul de salaires, des noms d’organismes et d’aides, plutôt que chercher un imposer un budget immuable et définitif : donner des clés à tout type de projet de disque, qu’il s’agisse d’un EP numérique de ghetto folk ou d’un double vinyle de rock progressif avec des violoncelles.
Bien sûr, une fois les calculs posés, on a envie de se dire yapuka, donnez-moi quelques milliers d’euros pour lancer cette belle prod, inch’allah et si on se plante pas trop quelques mois plus tard on a un beau disque produit dans les clous, on a respecté le travail de tout le monde (auteurs, compositeurs, éditeurs, interprètes, producteurs, techniciens, graphistes, illustrateurs, chargés de production…) et on n’est même pas pire fauché pour attaquer la suite.
L’enjeu bien sûr c’est la trésorerie, mais souvent on se rend compte que les artistes auto-produits prennent déjà ce problème à bras le corps puisqu’ils se constituent d’eux-mêmes une épargne nécessaire à la production de leur album – de l’épargne perso s’ils sont amateurs, ou des fonds propres de départ s’ils ont réussi à bien tourner en concert et à mettre de côté du blé sur une structure associative par exemple.
Et à partir du moment où ils mettent en place un budget de production, on voit vite qu’il faut prendre une décision déterminante pour la suite : auto-production ou pas ?
Une auto-production ça veut dire qu’on ne se salarie pas pour son boulot d’artiste (ni de chargé de production lorsqu’on travaille sur les budgets d’ailleurs), mais qu’en échange on détient les droits sur le master ainsi produit – normal, on a tout payé soi-même. Dans ce cas, une des uniques aides privées à aller chercher est l’aide Sacem à l’auto-production, et c’est pas beaucoup. Donc certes on détient les masters de son propre album, mais un master ça se mange pas, et en attendant on bosse gratos, et il va falloir aller chercher les 507 heures entre deux sessions de mixage et correction des fichiers graphiques. Plein d’artistes connaissent ça par cœur et s’en sortent nickel, mais arrive ici mon jugement implacable, pour peu que mon aimable lecteur soit venu ici s’en enquérir.
Un artiste qui s’auto-produit va en général avoir tendance à faire tout ça vite fait (et quand je dis tout ça, je parle de l’écriture / composition, le studio, le graphisme, les déclas pour les droits voisins, la distro, la promo) parce que son urgence est que ce fameux nouvel album paraisse vite, pour qu’il puisse vite tourner avec, vite relancer son réseau de programmateurs, vite chercher un tourneur. Et il a besoin de vite être dispo à nouveau pour aller faire ses dates (ou donner des cours ou quelque autre activité complémentaire que ce soit), donc on va pas s’amuser à faire des re-re et mettre des arrangements de cordes.
Et là on a un genre de trappe à l’auto-production, une trappe artistique en fait : plein de disques super cool, mais que le mélomane lambda va tout de même un peu moins poncer que Radiohead ou IAM ou que sais-je, pour la simple et bonne raison que ce sont des disques essentiellement conçus comme des supports au démarchage de dates, et pensés pour être vendus après les concerts au merch, donc à un public qui a d’abord été conquis par le live, et qui veut repartir avec un souvenir en plastique de ce bon moment alcoolisé où, qui sait, il aura trouvé l’âme sœur j’en sais rien.
Encore une fois pas de jugement de valeur ici car tout ceci fonctionne de fait pour des milliers d’artistes. C’est juste très fatiguant de tenir ce rythme, et là où je parle de trappe c’est que l’impression qu’on a chez nous (petit label au catalogue à la croissance pas dégueu), c’est que ce fonctionnement a des limites sur le plan artistique, qui peuvent pousser un groupe à splitter parce qu’au bout d’un moment on a fait le tour, ou pousser un musicien à se reconvertir après 3 auto-prods assorties de 10 ans d’intermittence taux minimum parce que marre de conduire. 10 ans pendant lesquels il nous semble à nous qu’il n’aura pas exploité tout la musique qu’il aurait pu sortir, tout parasité qu’il était par cette glorification de l’auto-production comme un totem de liberté et d’indépendance. Liberté d’entreprendre certes, merci patron, mais pas liberté de créer sereinement, et quand on est un artiste, c’est un peu mal emmanché si on se donne pas les moyens de créer sereinement.
Et oui car dans cette course effrénée, l’artiste auto-produit est à la fois producteur donc, mais aussi webmaster, community manager, graphiste, attaché de presse éventuellement, vendeur de disques sur un stand, et tout ce temps passé à faire autre chose que écrire et composer, au bout de dix ans, ça peut commencer à s’entendre. A quel point ce quatrième album est-il différent du troisième au fait ?
Inversement et là vous me voyez venir, l’artiste qui trouve un producteur (qu’il s’agisse d’un label de référence ou d’une structure du coin) reste un artiste à plein temps. Il touche des droits d’auteurs en tant qu’auteur ou compositeur, des cachets de studio et des droits interprète en tant qu’interprète, des royalties sur les ventes de son disque, et ce de manière d’autant plus sûre qu’il a un éditeur et un producteur qui a fait le taf de tout bien déclarer comme il faut. Ce bel argent lui permet de faire d’autant moins de GUSO, d’autant moins de kilomètres, et d’autant plus d’heures sur son DAW favori ou sur son clou.
La charge mentale ne disparaît pas totalement car certains artistes aiment évidemment définir avec leurs partenaires tous les aspects de la production (choix des studios, choix visuels, formats du support physique, choix promo…), mais il me semble que ce n’est pas du tout vécu de la même façon lorsqu’une structure dédiée fait les budgets et les salaires à la place de l’artiste. Et par opposition à mon histoire de trappe, l’artiste passe chaque année plus de temps à travailler sa musique.
Les plus fainéants se contentent de faire des gammes pour être des interprètes toujours plus agiles – parmi ceux-là, les plus malins vont chercher à s’acoquiner avec de vrais auteurs compositeurs pour former des équipes artistiques d’enfer. Et ceux qu’on préfère un peu chez Vlad, ce sont ceux qui passent aussi beaucoup de temps à rêvasser, voyager, croquer la vie à pleine dents (santé !), parce qu’il semblerait que ça soit un peu ça la recette pour faire des textes et des compositions solides.
Bien sûr et comme d’habitude, mon discours est complètement ringard, l’ADAMI a sorti moult aides aux « artistes-producteurs », ça cause « NFT, la fin des maisons de disque » sur mon Twitter, et les GAFAMS (S pour Spotify nos grands copains) investissent beaucoup d’énergie à convaincre les artistes de travailler en direct avec eux, les producteurs vous arnaquent, ils détiennent les droits sur vos masters, si vous saviez les millions qu’ils se font en les plaçant en Bourse.
Pendant ce temps je fais le tour des locaux de répét de mon vieux pays et je rencontre chaque jour des artistes qui portent des propositions au moins aussi intéressantes que ce que la FM vomit quand je traverse kreizh breizh. Mais comme on peut pas encore produire tout le monde, on fait des choix artistiques pour sécuriser nos ventes, pardon d’avance aux éventuels camarades qui n’auront pas l’heur de rejoindre notre catalogue dans l’immédiat, puissent ces quelques lignes vous donner le courage d’attaquer les nouvelles aides phono du CNM, et n’hésitez pas à passer au Salon (12 rue Dupont des Loges à Rennes) où nous avons nos bureaux, on fera un draft de budget sur un coin de table en buvant du café, et délestez-nous d’un ou deux disques, 40€ de bien investis dans la révolution musicale qui vient.
En vrai si on fait truc du style « pour 3 vinyles achetés on vous consacre une heure à boutiquer votre prod d’album » on nique tout dans un principe de solidarité musicale et économique méga disruptif. Vas-y on va regarder comment marketer ça tiens.
Edit : c’est chose faite ici